L'Esprit des Lois et la Lettre...

Certains verront une allusion à l'oeuvre de Montesquieu dans ce titre, ce n'est pas un hasard.

Depuis quelques décénies, on entend parler d'œcuménisme, terme qui vient du grec "oikouménê" (univers) ; c'est une mode qui ne fait pas l'unanimité, loin s'en faut ! A supposer que tout le monde soit d'accord, est-il possible de rassembler toutes les religions en une seule au prétexte qu'il n'y aurait qu'un seul dieu ? Autrement dit, cette tentative serait comparable à mettre toutes sortes de substances (par exemple plusieurs vins) venant de contrées très différentes dans un même chaudron, les mélanger pour en obtenir une seule. Il va sans dire que cette dernière n'aurait ni la saveur, ni les propriétés des produits d'origine. Ce qui veut dire que même si le vin obtenu est bon, on ne ferait qu'ajouter un vin à la longue liste des vins existants mais qui, au final, n'aurait plus ni identité, ni terroir, ni non plus d'histoire. Peu crédible en matière de religion !

Le respect d'autrui et de ses croyances ne passe pas par une sorte de communisme religieux où l'on est prêt à tous les compromis et à toutes les lâchetés pour arriver à s'entendre avec autrui. Par contre, on peut être frappé par le fait que la plupart des gens font un amalgame entre tradition religieuse locale, culture, nationalisme et patrimoine historique. Dieu n'a en fait pas grand chose à voir là-dedans. On connait la formule qui dit "il faut rendre les choses de César à César" mais voyons de plus près comment celle-ci est née et cherchons à analyser l'esprit de la lettre :

"Enseignant, nous savons que tu es véridique et que tu ne te soucies de personne, car tu ne regardes pas à l'apparence des hommes, mais tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité. Est-il permis ou non de payer l'impot de capitation à César ? Devons nous payer ou ne devons nous pas payer ? Mais lui, s'apercevant de leur hypocrisie, leur dit : Pourquoi me mettez-vous à l'épreuve ? Apportez-moi un denier que je le voie. Ils en apportèrent un. Et il leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? Ils lui dirent : - de César. Alors Jésus leur dit : Rendez les choses de César à César et les choses de Dieu à Dieu" Marc 12:14-17.

Pour répondre aux Pharisiens qui lui tendaient un piège, Jésus part d'une référence contextuelle : le denier de César, ce qui, dans l'esprit des gens était très concret. En effet, tout labeur à l'époque était rémunéré dans cette monnaie fabriquée par l'administration romaine. Une partie du salaire devait donc retourner à César pour servir à la gestion de l'Empire. Jésus n'a pas remis en cause tout ce processus. Par contre, il fait une claire distinction entre César et Dieu, entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Bon nombre de conflits aujourd'hui sont issus de cultures qui, pour garantir leur survie ou leur prédominance, s'affrontent. L'effort d'abstraction intellectuelle nécessaire pour s'affranchir d'une vision contingente n'est pas instinctif, l'esprit est plus vaste que la lettre et il ne connait pas de frontière (I Cor.montez ici
2:10). En revanche, l'intolérance se traduit toujours par un retour à un état bestial brutal.

La Loi du pouvoir temporel gagne donc à protéger les individus dans leurs croyances, mais comment parvenir à éviter les écueils, les abus ?

Quelques pistes peuvent être explorées :

  • La tolérance étant le fondement de la Loi, celle-ci ne peut tolérer l'intolérance active, c'est à dire s'exprimant de manière physique ou verbale. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen stipule bien que l'homme ne doit être inquiété en raison de son opinion politique ou religieuse. C'est le rôle de la Loi de l'établir et de la Justice de veiller à son application. Tout individu ou tout groupe d'individus ayant des actions, attitudes ou propos aggressifs intentionnels et répétés à l'égard d'un tiers en raison de ses opinions si celles-ci ne portent pas atteinte à autrui, doit être non seulement sanctionné (au sens de punition) mais aussi empêché de nuire.
  • La credibilité de la Loi veut que celle-ci préserve la liberté de penser et que le pouvoir qui la représente n'influence pas les esprits en détournant ou en déformant artificiellement la pensée d'un individu ou d'un groupe d'individus à son insu. Cette dernière tendance ne pouvant que produire des effets pervers, voire inverses à ceux recherchés. Autrement dit, Dieu doit respecter César mais César a tout intérêt à respecter Dieu dans la croyance des individus.
  • L'information et non la désinformation doit permettre à tous d'accéder au savoir et à la réflexion.

Pour en revenir à l'esprit qui nous anime tous plus ou moins, croyants ou non croyants, soit on considère l'existence du surnaturel et l'on devrait faire confiance à cette pré-existence pour que l'esprit des infortunés s'éclaire progressivement, soit on ne considère le monde que d'un point de vue matérialiste et l'on devrait se dire qu'avec le temps et l'accroissement du savoir, l'homme devrait s'affranchir de ses conceptions erronées.

Dans le passé, l'exemple d'Israël montre qu'allier Etat et Religion était rarement durable.

Ce sont les Israëlites qui désirèrent un roi qui règnerait sur eux. Jusque-là, des Juges étaient les garants de la loi en Israël (I Samuel 8:5). Il est intéressant de noter la réaction de Dieu donnée en réponse à Samuel : "Ce n'est pas toi qu'ils ont rejeté, mais c'est moi qu'ils ont rejeté pour que je ne sois pas roi sur eux" (I Samuel 8:7). Rares furent ensuite les bons rois qui écoutaient les prophètes, religieux et rois ne cherchaient en général que leurs intérêts qu'ils confondaient avec une certaine idée de leur nation.

On a parfois du mal à comprendre pourquoi Dieu tolère différentes religions. Prenons alors un autre exemple, celui de la Tour de Babel. La bâtir pour nos lointains ancêtres, représentait une sorte de point de ralliement "afin que nous ne soyons point dispersés sur la face de toute la Terre" Gen.11:4. Les écritures rendent ainsi la réaction de l'Eternel : "Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté. Allons, descendons et là, confondons leur langage..." Gen. 11:6-7. Dieu voulait donc leur dispersion (quelqu'en soit le motif) et montre que ce Dieu aime la diversité. Cette idée est mise en évidence bien plus tard par Paul dans sa lettre aux Ephésiens "Pour que la sagesse si diverse de Dieu soit maintenant donnée à connaître" Eph. 3:10. "Par rapport à la bonne nouvelle, il est vrai, ils sont ennemis à cause de vous (en parlant des Juifs), mais par rapport au choix, ils sont bien aimés à cause de leurs ancêtres. Car les dons et l'appel de Dieu sont des choses qu'il ne regrettera pas... Ô profondeur de la richesse et de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Que ses jugements sont inscrutables et introuvables ses voies !" (Rom.11:28-36).

Quelque soit la religion considérée, il est bon de se rappeler que "Dieu n'est pas partial et qu'en toute nation, l'homme qui pratique la justice lui est agréable" (Actes 10:34,35). Le Pharisien Gamaliel* avait eu une reflexion de bon sens lors d'une persécution de chrétiens : "Ne vous occupez pas de ces hommes, mais laissez les aller car si ce dessein ou cette oeuvre vient des hommes, elle sera renversée... autrement, on vous trouvera peut-être en train de combattre contre Dieu" (Actes 5:38,39).

Si donc certains semblent ne s'attacher beaucoup trop qu'à la lettre sans en comprendre le sens, il semble préférable de faire preuve d'esprit en étant patient et compréhensif.

A noter aussi que parfois Dieu se laisse incliner par un commentaire humain. Ce fut le cas pour Abraham qui discuta avec Dieu pour l'inciter à épargner des justes de Sodome. De Moïse aussi ainsi que d'Ezéchiel par exemple quand il refuse l'injonction de faire cuire ses aliments sur des excréments humains (Ez.4:15). Il faut donc se rappeler que Dieu est compatissant et peut parfois infléchier ses desseins à courte échéance pour tenir compte des faiblesses humaines, Dieu nous aime bien que juste.

* Paul était disciple de ce Gamaliel car Pharisien avant d'être chrétien. Actes 22:3.