Liberté ou Alienation
Jean-Jacques Rousseau pensait que la démocratie, c'est à dire le pouvoir donné au peuple de délibérer allait nous libérer de la tyrannie du pouvoir absolu du monarque ("Le Contrat Social"). Selon lui, la liberté octroyée n'est alors pas sans limite mais le contrat social doit permettre de gouverner pour le bonheur d'une population prise dans son ensemble.
Il faut reconnaitre que c'est la raison qui nous a été donnée qui nous permet d'exercer notre libre arbitre, c'est à dire de décider au quotidien, de ce que nous faisons voire même de nos motivations. La décision n'est pas le fait du hasard, elle est le produit de la raison qui se trouve aussi être pour l'humain, une pierre d'achoppement car il n'est pas possible pour un entendement fini de ne jamais se tromper. Si nous ne prenions jamais de décision, nous n'avancerions pas beaucoup en maturité et on serait simplement irresponsables comme des enfants qui sont guidés par leurs parents ou pire comme des esclaves de la pensée d'autrui, qui que ce soit. La raison est donc propice à la responsabilisation et la démocratie pense que les hommes sont assez raisonnables et mûrs en les rendant effectivement responsables du destin d'une population.
A ce sujet, il est intéressant de se pencher sur certaines idéologies dogmatiques qui sont soit politiques, soit religieuses et qui s'opposent à la réflexion libre.
A propos, le chrétien est-il logiquement dogmatique ? Jésus puis Paul disaient que la vérité nous affranchirait (Jean 8:32) et que partant de ce principe, il ne fallait plus se rendre esclave des hommes (ICor.7:23). On ne parlait pas de l'esclavage proprement-dit qui était en vogue à cette époque car ailleurs Paul conseille aux chétiens esclaves de leur état, de servir honorablement leurs maîtres (ITim.6.1), mais il parlait de l'esclavage de la raison, des brides que l'on pourrait mettre à celle-ci (par exemple, en suivant aveuglément des rites), sans remettre en question certaines choses pourtant acceptées dans telle ou telle société. La liberté est effectivement source de conflit mais la liberté au sens où l'entend le Chrétien n'a pas pour but essentiel la satisfaction de ses désirs ; c'est d'ailleurs une pensée de Paul qui rappela que "si toutes choses sont permises, toutes ne sont pas avantageuses (ou utiles)" (ICor. 6:12) et de nous exhorter à rechercher celles qui procurent au bien de tous. Ayant été rachetés à un prix sacré, celui du sacrifice propitiatoire d'un être d'essence divine et sans tâche, le Chrétien acceptant ce rachat, devient esclave de Dieu par Jésus Christ. Y a t-il là contradiction entre liberté et l'état d'esclave de Dieu ? Non, si on se rappelle que la nouvelle alliance est le scellement de la loi d'amour. Pour citer Jésus, "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" (Jean 15:13). C'est l'exemple que nous a laissé Jésus, aimer jusqu'à donner sa vie si nécessaire ; c'est cela l'esclavage chrétien, résister à tout ce qui est égoiste ou méchant et faire place à l'amour venant du père et procurant la paix.
Certaines choses peuvent progressivement avoir de l'emprise sur notre cerveau et nous empêcher d'activer notre raison pour savoir si nos actions sont motivées par l'amour (pour son prochain ou pour Dieu, ce qui revient au même selon Jésus).
Je vais donc essayer ici, de faire ressortir (en me basant sur mes expériences) certaines manières de faire, pratiquées par des organisations politiques ou religieuses et qui conduisent à cet aveuglement de la raison.
Partant du principe de l'immuabilité d'une société (macro ou microcosmique), les représentants ou dignitaires tendent à manipuler ou à influencer leurs ouailles ! Comment procèdent-ils ? Leurs armes sont redoutables dans une communauté.
Le premier principe est sans nul doute de travailler la dépendance. On connait les effets d'une drogue sur l'organisme ; c'est principalement dû au fait que celle-ci procure temporairement une sensation de bonheur ou de soulagement. On tombe souvent dans la dépendance pour échapper à une réalité qu'on ne peut (ou qu'on ne se sent pas capable de gérer). Un responsable qui veut gagner en crédit (s'il ne reste pas vraiment honnête), va déceler quels sont les désirs, les sources de plaisir d'un individu. Il va lui faire croire qu'en agissant d'une certaine manière, souvent par des gestes ou attitudes répétées qui en devenant routinières, deviennent machinales, et en échange de sa bienveillance en lui octroyant des places ou des fonctions estimées ou des concessions de quelque nature, il aura ce qu'il veut et deviendra heureux.
Malheureusement, la raison se ferme progressivement, sous l'effet de l'éveil à la satisfaction et au plaisir, si bien que l'effet est pervers ; le bonheur fuit et la dépendance s'accroit. La pente amorcée est glissante car la personne est abusée dans sa confiance en croyant augmenter son plaisir sans qu'on lui ait appris à s'y opposer. Remonter la pente est beaucoup plus dur et pour résister, une seule chose peut fonctionner : la désintoxication mentale par l'éloignement des personnes aux mauvaises influences "Dans les derniers jours, il y aura des temps difficiles car les hommes seront égoistes, (...), aimant le plaisir plutôt que Dieu, ayant une apparence de piété, mais reniant ce qui en fait la force. Eloigne-toi de ces hommes-là" (IITim. 3:1-5).
Cette apparence peut même dans certains cas, revêtir des aspects ostentatoires. La manière de traduire certains textes peut nous aider à rester sur nos gardes : prenons pour exemple Michée 6:8. La bible second rend ce verset comme suit : "Et ce que l'Eternel demande de toi, c'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu". La lecture du mot "וְהַצְנֵעַ" qui signifie "austérité" a donné dans la septante grecque le mot "ἒτοιμον", soit réalité, imminence ou l'idée de promptitude qui induit la traduction anglaise "to be ready to walk" de la septante. Les chétiens rendent ce mot par humblement mais certains par "modestement" alors que des juifs le rendent par "avec pudeur". Or l'attitude induite est nécessairement différente car la modestie implique une notion de mesure (donc de soumission), ce que n'indique pas le mot humilité alors que la pudeur renvoie à l'absence d'ostentation religieuse (et donc de foi cachée). On voit donc ici comment tel terme peut forcer le sens de manière à l'orienter selon l'attitude prônée par tel ou tel mouvement.
La deuxième arme que je citerai est la flatterie (tout le monde connait La Fontaine et sa célèbre fâble du corbeau et du renard). Les personnes ciblées dans ce cas sont celles disposant d'instincts démesurés d'orgueil et d'ambition mal placés.
Le mensonge est une arme aussi, car il discrédite la vertu en la montrant tantôt comme une faiblesse, tantôt comme de l'orgueil. Cela permet de mettre à l'écart les personnes qui résistent avec un esprit dangereusement indépendant car disposant de qualités propres et rendant par là inutiles les dirigeants. La comédie et la flatterie sont exercées pour parvenir à ces fins, avec pour conséquence de la lacheté, c'est à dire l'abandon de la prise de responsabilité de résistance individuelle au mal ; paradoxe, la lacheté est récompensée (ne dit-on pas que moins on fait de vague...). L'initiative, l'identité, la personnalité sont découragées voire combatues comme de l'orgueil mettant en péril la dépendance recherchée.
Une autre arme est la persécution, l'isolement d'une personne désaprouvée, c'est à dire ne suivant pas de manière disciplinée la ligne tracée. Le mal fait à cette personne a pour conséquence de la rendre malheureuse, déstabilisée, de la mettre sur ses gardes. Ces symptomes psychologiques sont avancés comme autant de preuves de la folie de son comportement. Le responsable se proposera alors comme le sauveur capable de rétablir la situation alors que c'est celui qui l'aura provoquée.
L'absence de motivation de la raison conduit au refus de toute philosophie, de toute recherche individuelle et par voie de conséquence au matérialisme le plus basique. ll est frappant de voir à quel point les gens qu'on abreuve de pensées spirituelles, n'ayant plus à réfléchir par eux-mêmes puisqu'on les leur fournit, ne se préoccupent plus que de leurs besoins quotidiens primaires, voire plus ! Ils se nourrissent de rêves qu'ils propagent comme des perroquets.
Une autre arme est de faire croire que l'immoralité est systématiquement pardonnée car nous sommes imparfaits, pécheurs et Dieu est amour. On en vient à aimer, non Dieu et la vertu mais des pratiques communautaires locales ou spécifiques.
Evidemment, l'individu se rend compte tôt ou tard de sa culpabilité (pour citer Jésus, un aveugle mène un aveugle mais tous deux tomberont dans la même fosse) mais il la reporte plus ou moins consciemment sur autrui. Un effet pervers s'insinue : le sadomasochisme. On en vient à rechercher les réprimandes, on en a besoin (preuve qu'on existe), mais comme on les ignore, on devient insensible, avec une rage contenue et un cri intérieur de vengeance et de haine non ciblés mais se trahissant à tout moment.
L'aveuglement collectif est exacerbé par des leitmotivs participant du conditionnement individuel et collectif tels que : collectivisme, prolétariat, parti, Vérité, patriotisme...
Le complexe de supériorité du groupe pallie le complexe d'infériorité de l'individu et de son impuissance, ce qui exacerbe le suivisme. Le rêve d'un avenir fabuleux est utilisé comme un outil de propagande qui dévoie la motivation de l'être. L'invention de critères moraux spécifiques qui donnent une notion différente de ce qui est bien ou mal assoit la différence et la séparation dans une entité de groupe propice à la manipulation, la dépendance et à la protection du groupe mise en avant par l'organisation. Les limites fixées conduisent à ne plus raisonner que dans ces limites. Peut-être que certaines personnes ont besoin de forteresses ou de frontières pour se rassurer, après tout, Jésus n'a t-il pas dit que ce sont les malades qui ont besoin de médecins ? (Luc 5:31).